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Enquête France 2 Attentats du 13-Novembre : un rapport confidentiel dénonce des failles de la police belge dans la surveillance des frères Abdeslam

Publié Mis à jour
Durée de la vidéo : 4 min
L'oeil du 20 heures - 13 septembre 2021
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Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
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Un rapport de la police des polices belge révèle des failles importantes dans la surveillance des frères Abdeslam, membres du commando des attentats du 13 novembre 2015. "L'Œil du 20 heures" a pu consulter ce rapport confidentiel, qui n'a jamais été publié, ni communiqué à la justice française.

Ce sont 82 pages confidentielles, classifiées, rédigées par le Comité P (comité permanent de contrôle des services de police), la police des polices belges. Un rapport sur les attentats du 13-Novembre, jamais transmis à la justice française, qui l’a pourtant demandé. "L’Œil du 20 heures" a pu le consulter. Il révèle de nombreux dysfonctionnements dans la surveillance des frères Abdeslam, plusieurs mois avant les attentats de 2015.

Dès juillet 2014, dix-sept mois avant les attentats, un policier belge reçoit un signalement d’un informateur, qu’il dit avoir transmis à sa hiérarchie. Cela concerne les frères Abdeslam, et leur lien avec celui qui sera le coordinateur des attentats, Abdelhamid Abaaoud. "Les frères en question auraient déclaré vouloir commettre un 'acte irréparable' et se rendre en Syrie", résume le rapport. Mais aucune suite n’est donnée. L’information n’est consignée nulle part, selon le Comité P.

En janvier 2015, dix mois avant les attentats, un autre signalement sur la radicalisation des deux frères conduit cette fois la police bruxelloise à rédiger deux procès-verbaux. Salah et Brahim Abdeslam sont entendus l’un après l’autre, mais ils nient toute radicalisation et velléité de départ en Syrie, alors même que Brahim en revient.

"Je travaille pour rien", déplore un policier

L’enquête ne va pas beaucoup plus loin. "Les dossiers des frères Abdeslam n’ont jamais été effectivement attribués à quelqu’un, de sorte qu’il n’y a pas eu de responsable d’enquête", s'étonne le rapport confidentiel. Un policier belge que nous avons contacté déplore lui-même l’inertie de l’enquête, alors qu’il aurait transmis des documents attestant de la radicalisation préoccupante de Salah Abdeslam : "Il y a plein de choses que j’ai dites, que j’ai mises en avant, j’ai tiré la sonnette d’alarme : c’est tombé aux oubliettes. Ça m’est arrivé plein de fois de me dire 'mais putain je travaille pour rien, en fait !'"

"Des menaces d’attentat, de radicalisation sévère, des contacts avec des gars partis en Syrie, ce n’est quand même pas rien ! Ils auraient dû procéder à une arrestation beaucoup plus rapidement", ajoute, amer, le policier.

Des investigations téléphoniques inexploitées

Aucun responsable d’enquête n'est désigné et les investigations sur les deux frères Abdeslam sont laissées en suspens, faute de moyens, selon les investigations du Comité P : "Dans les deux cas, il est décidé de procéder à des repérages téléphoniques, mais d’en geler les résultats, c’est-à-dire de ne pas les exploiter." Même le matériel informatique de Brahim Abdeslam, saisi lors d’une perquisition, restera inexploité jusqu’aux attentats. En juin 2015, cinq mois avant les attentats, après une enquête inaboutie, un magistrat fédéral classe le dossier sans suite.

Les services belges continuent de recevoir des signalements de déplacements suspects, trois mois avant les attentats : le 5 août 2015, Salah Abdeslam est contrôlé à la frontière grecque où il embarque pour l’Italie. Puis le 9 septembre, en Autriche. Enfin, le 23 octobre, trois semaines avant les attentats, il arbore même un drapeau de l’organisation Etat islamique sur les réseaux sociaux.

Un responsable de la sûreté de l'Etat belge reconnaît "être passé à côté"

La police belge n’exploitera pas ces éléments, le dossier ayant été classé. Pour Gérard Chemla, avocat de 137 victimes, ce rapport, jamais déclassifié depuis 2016, est accablant. Il demande à ce qu’il soit rendu public, et cité au procès. “Quand on maintient quelque chose secret, c’est qu’on a des choses à cacher. C’est absolument invraisemblable que l’on ne s’incline pas devant tous ces morts en leur disant qu'on a fait des bêtises, qu'il y a des choses qui ont fonctionné et d’autres qui n’ont pas fonctionné, et de présenter ses excuses pour ses erreurs. C’est honteux."

Contacté, un responsable de la sûreté de l'Etat belge à l’époque reconnaît être “passé à côté”. Quant au gouvernement belge, il invoque la sûreté nationale pour expliquer la non-diffusion de ce rapport.

Parmi nos sources : rapport final du Comité P. Liste non exhaustive.

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